Les Crabiers du Nouveau Continent
 . . . . . . . . . . . . . . Le Crabier bleu
 . . . . . . . . . . . . . . . . . et dix autres
 . . . . . . . . . . Le Cracra, Le Zilalat
 . . . . . . . . . . . . . . . Le Bec-Ouvert

 
 
 
 
 
 

Pages 131 à 149 de l’HISTOIRE NATURELLE DES OISEAUXTome Quatorzième de l’HISTOIRE NATURELLEGÉNÉRALE ET PARTICULIÈRE de M. de Buffon.

CRABIERS DU NOUVEAU CONTINENT

 

Ces oiseaux sont des hérons encore plus petits que l’aigrette d’Europe ; on leur a donné le nom de « crabiers », parce qu’il y en a quelques espèces qui se nourrissent de crabes de mer, & prennent des écrevisses dans les rivières. Dampier & Wafer en ont vus au Brésil, à Timor, à la nouvelle Hollande (a) ; ils sont donc répandus dans les deux hémisphères. Barrère dit que, quoique les crabiers des îles de l’Amérique prennent des crabes, ils mangent aussi du poisson, & qu’ils pêchent sur les bords des eaux douces, ainsi que les hérons. Nous en connaissons neuf espèces dans l’ancien continent, & treize dans le nouveau.

 

LE CRABIER BLEU (a)
Première Espèce

Ce crabier est très singulier en ce qu’il a le bec bleu comme tout le plumage, en sorte que, sans ses pieds verts, il serait entièrement bleu ; les plumes du cou & de la tête, ont un beau reflet sur bleu ; celles du bas du cou, du derrière de la tête & du bas du dos, sont minces et pendantes ; ces dernières ont jusqu’à un pied de long, elles couvrent la queue & la dépassent de quatre doigts ; l’oiseau est un peu moins gros qu’une corneille, & pèse quinze onces ; on en voit quelques-uns à la Caroline, & seulement au printemps ; néanmoins Catesby ne paraît pas croire qu’ils y fassent leurs petits, & il dit qu’on ignore d’où ils viennent. Cette même belle espèce, se retrouve à la Jamaïque, & paraît même s’être divisée en deux races ou variétés dans cette île.

LE CRABIER BLEU A COU BRUN
Seconde Espèce

Tout le corps de ce crabier est d’un bleu sombre, & malgré cette teinte très foncée, nous n’en eussions fait qu’une espèce avec la précédente, si la tête & le cou de celui-ci, n’étaient d’un roux-brun, & le bec d’un jaune foncé ; au lieu que le premier a la tête & le bec bleus. Cet oiseau se trouve à Cayenne, & peut avoir dix-neuf pouces de longueur.

LE CRABIER GRIS-DE-FER (b)
Troisième Espèce

Cet oiseau, que Catesby donne pour un butor, est certainement un petit héron ou crabier ; tout son plumage est d’un bleu obscur & noirâtre, excepté le dessus de la tête qui est relevé en huppe d’un jaune pâle, d’où partent à l’occiput trois ou quatre brins blancs ; il y a aussi une large raie blanche sur la joue jusqu’aux coins du bec ; l’oeil est protubérant, l’iris en est rouge & la paupière verte ; de longues plumes effilées naissent sur les côtés du dos & viennent en tombant dépasser la queue ; les jambes sont jaunes ; le bec est noir & fort, & l’oiseau pèse une livre & demie. On voit, dit Catesby, de ces crabiers à la Caroline, dans la saison des pluies ; mais, dans les îles de Bahama, ils sont en bien plus grand nombre & font leurs petits dans des buissons qui croissent dans les fentes des rochers ; ils sont en si grande quantité dans quelques-unes de ces îles, qu’en peu d’heures deux hommes peuvent prendre de leurs petits pour charger un canot ; car ces oiseaux, quoique déjà grands & en état de s’enfuir, ne s’émeuvent que difficilement & se laissent prendre  par nonchalance ; ils se nourrissent de crabes plus que de poisson, & les habitants de ces îles les nomment « preneurs de cancres » ; leur chair, dit Catesby, est de très bon goût, & ne sent point le marécage.

LE CRABIER BLANC
Quatrième Espèce

Un bec rouge & des pieds verts, avec l’iris de l’oeil jaune, & la peau qui l’entoure rouge comme le bec, sont les seules couleurs qui tranchent sur le beau blanc du plumage de cet oiseau ; il est néanmoins plus grand qu’une corneille, & se trouve à la Caroline, au printemps & jamais en hiver ; son bec est un peu courbé, & Klein remarque, à ce sujet, que dans plusieurs espèces étrangères du genre des hérons, le bec n’est pas aussi droit que dans nos hérons & nos butors (d).

LE CRABIER CENDRE (e)
Cinquième Espèce

Ce crabier de la nouvelle Espagne, n’est pas plus gros qu’un pigeon ; il a le dessus du corps cendré clair ; les pennes de l’aile mi-parties noir & blanc ; le dessous du corps blanc ; le bec et les pieds bleuâtres ; à ces couleurs, on peut juger que le P. Feuillée se trompe, en rapportant cette espèce à la famille du butor, autant qu’en lui appliquant mal à propos le nom de « calidris », qui appartient aux oiseaux nommés « chevaliers », & non à une aucune espèce de crabier ou de héron.

LE CRABIER POURPRE (f)
Sixième Espèce

Séba dit que cet oiseau lui a été envoyé du Mexique, mais il lui applique le nom de « xoxouquihoactli », que Fernandez donne à une espèce du double plus grande, & qui est notre hohou ou neuvième espèce de héron d’Amérique ; ce crabier pourpré n’a qu’un pied de longueur ; le dessus du cou, du dos & des épaules, est d’un marron pourpré ; la même teinte éclaircie couvre tout le dessous du corps ; les pennes de l’aile sont rouge-bai foncé ; la tête est rouge-bai clair, avec le sommet noir.

LE CRACRA (g)
Septième Espèce

« Cracra » est le cri que ce crabier jette en volant, & le nom que les Français de la Martinique lui donnent ; les naturels de l’Amérique l’appellent « jaboutra » ; le P. Feuillée, qui l’a trouvé au Chili, le décrit dans les termes suivants : il a la taille « d’un gros poulet », & son plumage est très varié ; il a le sommet de la tête cendré bleu, le haut du dos tanné, mêlé de couleur feuille-morte ; le reste du manteau est un mélange agréable de bleu cendré, de vert-brun & de jaune ; les couvertures de l’aile sont, partie d’un vert obscur bordées de jaunâtre, & partie noires ; les pennes sont de cette dernière couleur & frangées de blanc ; la gorge & la poitrine sont variées de taches feuille-morte sur fond blanc ; les pieds sont d’un beau jaune.

LE CRABIER CHALYBE
Huitième Espèce

Le dos & la tête de ce crabier sont de couleur « chalybée », c’est-à-dire, couleur d’acier poli ; il a les longues pennes de l’aile verdâtres, marquées d’une tache blanche à la pointe ; le dessus de l’aile est varié de brun, de jaunâtre & de couleur d’acier ; la poitrine & le ventre sont d’un blanc varié de cendré & de jaunâtre ; ce petit crabier est à peine de la grandeur d’un pigeon ; il se trouve au Brésil ; c’est là tout ce qu’en dit Marcgrave.

LE CRABIER VERT (i)
Neuvième Espèce

Cet oiseau très riche en couleurs, est dans son genre l’un des plus beaux ; de longues plumes d’un vert doré, couvrent le dessus de la tête, & se détachent en huppe ; des plumes de la même couleur, étroites & flottantes, couvrent le dos ; celles du cou & de la poitrine sont d’un roux ou rougeâtre foncé, les grandes pennes de l’aile sont d’un vert très sombre ; les couvertures d’un vert doré vif, la plupart bordées de fauve ou de marron. Ce joli crabier a dix-sept ou dix-huit pouces de longueur ; il se nourrit de grenouilles & de petits poissons comme de crabes ; il ne paraît à la Caroline & en Virginie que l’été, & vraisemblablement il retourne en automne dans des climats plus chauds, pour y passer l’hiver.

LE CRABIER VERT TACHETE (k)
Dixième Espèce

Cet oiseau un peu moins grand que le précédent, n’en diffère pas beaucoup par les couleurs, seulement il a les plumes de la tête & de la nuque, d’un vert doré sombre & à reflet bronzé, & les longs effilés du manteau du même vert doré, mais plus clair ; les pennes de l’aile d’un brun foncé, ont leur côté extérieur nuancé de vert doré, & celles qui sont les plus près du corps, ont une tache blanche à la pointe ; le dessus de l’aile est moucheté de points blancs, sur un fond brun nuancé de vert doré ; la gorge tachetée de brun sur blanc ; le cou est marron & garni au bas de plumes grises tombantes. Cette espèce se trouve à la Martinique.

LE ZILALAT (l)
Onzième Espèce

Nous abrégeons ainsi le nom mexicain de « hoitzilaztatl », pour conserver à ce crabier l’indication de sa terre natale ; il est tout blanc, avec le bec rougeâtre vers la pointe & les jambes de même couleur ; c’est l’un des plus petits de tous les crabiers, étant à peine de la grandeur d’un pigeon. M. Brisson en fait néanmoins son dix-neuvième héron ; mais cet Ornithologiste ne paraît avoir établi entre ses hérons & ses crabiers, aucune division de grandeur, la seule pourtant qui puisse classer ou plutôt nuancer des espèces, qui d’ailleurs portent en commun les mêmes caractères.

LE CRABIER ROUX A TETE & QUEUE VERTES
Douzième Espèce

Ce crabier n’a guère que seize pouces de longueur ; il a le dessus de la tête & la queue d’un vert sombre ; même couleur sur une partie des couvertures de l’aile qui son frangées de fauve ; les longues plumes minces du dos sont teintes d’un pourpre faible ; le cou est roux, ainsi que le ventre, dont la teinte tire au brun. Cette espèce nous a été envoyée de la Louisiane.

LE CRABIER GRIS A TETE & QUEUE VERTES
Treizième Espèce

Ce crabier, qui nous a été envoyé de Cayenne, a beaucoup de rapports avec le précédent, & tous deux en ont avec le crabier vert, dixième espèce, sans cependant lui ressembler assez pour n’en faire qu’une seule & même espèce, la tête & la queue sont également d’un vert sombre, ainsi qu’une partie des couvertures de l’aile ; un gris ardoisé clair domine sur le reste du plumage.

LE BEC-OUVERT (***)

Après l’énumération de tous les grands hérons & des petits, sous le nom de crabiers, nous devons placer un oiseau qui, sans être de leur famille, en est plus voisin que d’aucune autre ; tous les efforts du Nomenclateur, tendent à contraindre & forcer les espèces d’entrer dans le plan qu’il leur trace, & de se renfermer dans les limites idéales qu’il veut placer au milieu de l’ensemble des productions de la Nature ; mais toute l’attention du Naturaliste, doit se porter au contraire à suivre les nuances de la dégradation des êtres & chercher leurs rapports sans préjugé méthodique ; ceux qui sont aux confins des genres, & qui échappent à ces règles fautives, qu’on peut appeler « scolastiques », s’en trouvent rejetés sous le nom d’ »anomaux » (****) ; tandis qu’aux yeux du Philosophe, ce sont les plus intéressants & les plus dignes de son attention ; ils font, en s’écartant des formes communes, les liaisons & les degrés par lesquels la nature passe à des formes plus éloignées ; telle est l’espèce à laquelle nous donnons ici le nom de bec-ouvert ; elle a les traits qui la rappellent au genre des hérons, & en même temps elle en a d’autres qui l’en éloignent ; elle a de plus une de ces singularités ou défectuosités que nous avons déjà remarquées sur un petit nombre d’êtres, reste des essais imparfaits que, dans les premiers temps, dut produire & détruire la force organique de la Nature. Le nom de bec-ouvert, marque cette difformité ; le bec est en effet ouvert & béant sur les deux tiers de sa longueur, la partie du dessus & celle du dessous se déjetant également en dehors, laissent entre elles un large vide, & ne se rejoignent qu’à la pointe. On trouve cet oiseau aux grandes Indes, & nous l’avons reçu de Pondichéry ; il a les pieds & les jambes du héron, mais n’en porte qu’à demi le caractère sur l’ongle du doigt du milieu, qui s’élargit bien en dedans en lame avancée, mais qui n’est point dentelée à la tranche ; les pennes de ses ailes sont noires ; tout le reste du plumage est d’un gris cendré clair ; son bec, noirâtre à la racine, est blanc ou jaunâtre dans le reste de sa longueur, avec plus d’épaisseur & de largeur que celui du héron ; la longueur totale de l’oiseau, est de treize à quatorze pouces. On ne nous a rien appris de ses habitudes naturelles.

(***) Nous avons trouvé le bec-ouvert dans le LAROUSSE UNIVERSEL en 2 VOL. de 1922, sous cette définition : ‘bec-ouvert, n.m., un des noms vulgaires du butor’; nous ne l’avons pas retrouvé dans le GRAND ROBERT en 6 VOL. de 1978, ni dans le PETIT LAROUSSE de 1993 (ndlr).

(****) Se dit d’une forme ou d’une construction qui présente un caractère aberrant par rapport à un type ou une règle ; LE NOUVEAU PETIT ROBERT, 2000 (ndlr).