accueil

cliquer
sur l'image
pour ouvrir
la page suivante
.
.

.......

... Le Héron Commun
.
.

.
.
.
.
.
.
.
.
.

Nota.
Nous avons conservé les noms et l’orthographe des contrées, des îles, des pays et des continents mentionnés dans le texte original, tels qu’ils étaient
cartographiés au XVIIIe siècle. Nous n’avons pas transcrit les notes de M. de Buffon ; vous les trouverez sur les pages originales, 50 à 82, de son
HISTOIRE NATURELLE DES OISEAUX, Tome Quatorzième de l’HISTOIRE NATURELLE,
GÉNÉRALE ET PARTICULIÈRE
, avec La Description du Cabinet du Roi, à Paris, Suivant la Copie in-4° de l'Imprimerie Royale, M.DCCLXXX (1780, ndlr) ; pour cela, cliquez sur
.
<Buffon 18e siècle>.
.
LE HÉRON COMMUN
(a)
Première Espèce
.
    
Le bonheur n'est pas également départi à tous les êtres sensibles ; celui de l'homme vient de la douceur de son âme, & du bon emploi de ses qualités morales ; le bien-être des animaux ne dépend au contraire que des facultés physiques, & de l'exercice de leurs forces corporelles : mais si la Nature s'indigne du partage injuste que la société fait du bonheur parmi les hommes, elle-même dans sa marche rapide paraît avoir négligé certains animaux, qui, par imperfection d'organes, sont condamnés à endurer la souffrance, & destinés à éprouver la pénurie : enfants disgraciés, nés dans le dénuement pour vivre dans la privation ; leurs jours pénibles se consument dans les inquiétudes d'un besoin toujours renaissant ; souffrir & patienter sont souvent leurs seules ressources, & cette peine intérieure trace sa triste empreinte jusque sur leur figure, & ne laisse aucune des grâces dont la Nature anime tous les êtres heureux. Le héron nous présente l'image de cette vie de souffrance, d'anxiété, d'indigence ; n'ayant que l'embuscade pour tout moyen d'industrie, il passe des heures, des jours entiers à la même place, immobile au point de laisser douter si c'est un être animé ; lorsqu'on l'observe avec une lunette (car il se laisse rarement approcher), il paraît comme endormi, posé sur une pierre, le corps presque droit & sur un seul pied ; le cou replié le long de la poitrine & du ventre ; la tête & le bec couchés entre les épaules, qui se haussent & excèdent de beaucoup la poitrine, & s'il change d'attitude, c'est pour en prendre une encore plus contrainte en se mettant en mouvement ; il entre dans l'eau jusqu'au-dessus du genou, la tête entre les jambes, pour guetter au passage une grenouille, un poisson ; mais réduit à attendre que sa proie vienne s'offrir à lui, & n'ayant qu'un instant pour la saisir, il doit subir de longs jeûnes, & quelque fois périr d'inanition ; car il n'a pas l'instinct, lorsque l'eau est couverte de glace, d'aller chercher à vivre dans des climats plus tempérés ; & c'est mal à propos que quelques Naturalistes l'ont rangé parmi les oiseaux de passage, qui reviennent au printemps dans les lieux qu'ils ont quittés l'hiver (b), puisque nous voyons ici des hérons dans toutes les saisons, & même pendant les froids les plus rigoureux & les plus longs ; forcés alors de quitter les marais & les rivières gelées ; ils se tiennent sur les ruisseaux & près des sources chaudes ; & c'est dans ce temps qu'ils sont le plus en mouvement, & où ils font d'assez grandes traversées pour changer de station, mais toujours dans la même contrée ; ils semblent donc se multiplier à mesure que le froid augmente, & ils paraissent supporter également & la faim & le froid ; ils ne résistent & ne durent qu'à force de patience & de sobriété ; mais ces froides vertus sont ordinairement accompagnées du dégoût de la vie. Lorsqu'on prend un héron, on peut le garder quinze jours sans lui voir chercher ni prendre aucune nourriture ; il rejette même celle qu'on tente de lui faire avaler ; sa mélancolie naturelle augmentée sans doute par la captivité, l'emporte sur l'instinct de la conservation, sentiment que la Nature imprime le premier dans le coeur de tous les êtres animés : l'apathique héron semble se consumer sans languir ; il périt sans se plaindre & sans apparence de regret (c).
     L'insensibilité, l'abandon de soi-même & quelques autres qualités tout aussi négatives, le caractérisent mieux que ses facultés positives : triste et solitaire, hors le temps des nichées, il ne paraît connaître aucun plaisir, ni même les moyens d'éviter la peine. Dans les plus mauvais temps, il se tient isolé, découvert, posé sur un pieu ou sur une pierre, au bord d'un ruisseau, sur une butte, au milieu d'une prairie inondée, tandis que les autres oiseaux cherchent l'abri des feuillages ; que, dans les mêmes lieux, le rafle (**) se met à couvert dans l'épaisseur des herbes & le butor au milieu des roseaux ; notre héron misérable, reste exposé à toutes les injures de l'air & à la plus grande rigueur des frimas. M. Hébert nous a informé qu'il en avait pris un qui était à demi gelé & tout couvert de verglas ; il nous a même assuré avoir trouvé souvent sur la neige ou la vase, l'impression des pieds de ces oiseaux, & n'avoir jamais suivi leurs traces plus de douze ou quinze pas ; preuve du peu de suite qu'ils mettent à leur quête, & de leur inaction même dans le temps du besoin ; leurs longues jambes ne sont que des échasses inutiles à la course ; ils se tiennent debout & en repos absolu pendant la plus grande partie du jour, & ce repos leur tient lieu de sommeil, car ils prennent quelque essor pendant la nuit (d) ; on les entend alors crier en l'air à toute heure & dans toutes les saisons ; leur voix est un son unique, sec & aigre, qu'on pourrait comparer au cri de l'oie, s'il n'était plus bref et un peu plaintif (e) ; ce cri se répète de moment à moment, & se prolonge sur un ton plus perçant & très désagréable lorsque l'oiseau ressent de la douleur.
     Le héron ajoute encore aux malheurs de sa chétive vie, le mal de la crainte & de la défiance ; il paraît s'inquiéter & s'alarmer de tout ; il fuit l'homme de très loin ; souvent assailli par l'aigle & le faucon, il n'élude leur attaque qu'en s'élevant au haut des airs & s'efforçant de gagner le dessus ; on le voit se perdre avec eux dans la région des nuages (f). C'était assez que la Nature eût rendu ces ennemis trop redoutables pour le malheureux héron (g), sans y ajouter l'art d'aigrir leur instinct et d'aiguiser leur antipathie ; mais la chasse du héron était autrefois parmi nous le vol le plus brillant de la fauconnerie ; il faisait le divertissement des Princes qui se réservaient, comme gibier d'honneur, la mauvaise chère de cet oiseau, qualifiée " viande royale ", & servie comme un mets de parade dans les banquets (h).
     C'est sans doute cette distinction attachée au héron, qui fit imaginer de rassembler ces oiseaux & de tâcher de les fixer dans des massifs de grands bois près des eaux, ou même dans des tours, en leur offrant des aires commodes où ils venaient nicher. On tirait quelque produit de ces héronnières, par la vente des petits héronneaux que l'on savait engraisser (i). Bélon parle avec une sorte d'enthousiasme des héronnières que François I, avait fait élever à Fontainebleau, & du grand effet de l'art qui avait soumis à l'empire de l'homme, des oiseaux aussi sauvages (k) ; mais cet art était fondé sur leur naturel même ; les hérons se plaisent à nicher rassemblés ; ils se réunissent pour cela plusieurs dans un même canton de forêt (l), souvent sur un même arbre ; on peut croire que c'est la crainte qui les rassemble, & qu'ils ne se réunissent que pour repousser de concert, ou du moins étonner par leur nombre, le milan et le vautour ; c'est au plus haut des grands arbres que les hérons posent leurs nids, souvent auprès de ceux des corneilles (m) ; ce qui a pu donner lieu à l'idée des Anciens, sur l'amitié établie entre ces deux espèces, si peu faites pour aller ensemble (n). Les nids du héron sont vastes, composés de bûchettes, de beaucoup d'herbe sèche, de joncs & de plumes ; les oeufs sont d'un bleu verdâtre, pâle et uniforme, de même grosseur à peu près que ceux de la cigogne, mais un peu plus allongés & presque également pointus par les deux bouts. La ponte, à ce qu'on nous assure, est de quatre ou cinq oeufs, ce qui devrait rendre l'espèce plus nombreuse qu'elle ne paraît l'être partout ; il périt donc un grand nombre de ces oiseaux dans les hivers ; peut-être aussi qu'étant mélancoliques & peu nourris, ils perdent de bonne heure la puissance d'engendrer.
     Les Anciens, frappés apparemment de l'idée de la vie souffrante du héron, croyaient qu'il éprouvait de la douleur, même dans l'accouplement ; que le mâle, dans ces instants, répandait du sang par les yeux & jetait des cris d'angoisse (o). Pline paraît avoir puisé dans Aristote cette fausse opinion (p), dont Théophraste se montre également prévenu (q) ; mais on la réfutait déjà du temps d'Albert qui assure avoir plusieurs fois été témoin de l'accouplement des hérons, & n'avoir vu que les caresses de l'amour & les crises du plaisir (r). Le mâle pose d'abord un pied sur le dos de la femelle, comme pour la presser doucement de céder ; puis portant les deux pieds en avant, il s'abaisse sur elle, & se soutient dans cette attitude par de petits battements d'ailes (f) ; lorsqu'elle vient à couver, le mâle va à la pêche, & lui fait part de ses captures, & l'on voit souvent des poissons tombés de leurs nids (t). Du reste, il ne paraît pas que les hérons se nourrissent de serpents ni d'autres reptiles, & l'on ne sait sur quoi pouvait être fondée la défense de les tuer en Angleterre (u).
     Nous avons vu que le héron adulte refuse de manger, & se laisse mourir en domesticité ; mais, pris jeune, il s'apprivoise, se nourrit & s'engraisse ; nous en avons fait porter du nid à la basse-cour ; ils y ont vécu d'entrailles de poissons & de viande crue, & se sont habitués avec la volaille ; ils sont même susceptibles, non pas d'éducation, mais de quelques mouvements communiqués ; on en a vus qui avaient appris à tordre le cou de différentes manières, à l'entortiller autour du bras de leur maître ; mais, dès qu'on cessait de les agacer, ils retombaient dans leur tristesse naturelle, & demeuraient immobiles (x) ; au reste, les jeunes hérons sont, dans le premier âge, assez longtemps couverts d'un poil follet épais, principalement sur la tête & le cou.
Le héron prend beaucoup de grenouilles, ils les avale toutes entières ; on le reconnaît à ses excréments qui en offrent les os non brisés & enveloppés d'une espèce de mucilage visqueux de couleur verte, formé apparemment de la peau des grenouilles réduite en colle ; ses excréments ont, comme ceux des oiseaux d'eau en général, une qualité brûlante pour les herbes ; dans la disette, il avale quelques petites plantes, telles que la lentille d'eau (y) ; mais sa nourriture ordinaire est le poisson ; il en prend assez de petits, & il faut lui supposer le coup de bec sûr & prompt pour atteindre & frapper une proie qui passe comme un trait ; mais pour les poissons un peu gros, Willughby dit, avec toute sorte de vraisemblance, qu'il en pique & blesse beaucoup plus qu'il n'en tire de l'eau (z). En hiver, lorsque tout est glacé & qu'il est réduit aux fontaines chaudes, il va tâtant de son pied dans la vase, et palpe ainsi sa proie, grenouille ou poisson.
     Au moyen de ses longues jambes, le héron peut entrer dans l'eau de plus d'un pied sans se mouiller ; ses doigts sont d'une longueur excessive, celui du milieu est aussi long que le tarse ; l'ongle qui le termine, est dentelé (a) en dedans comme un peigne, & lui fait un appui & des crampons pour s'accrocher aux menues racines qui traversent la vase sur laquelle il se soutient au moyen de ses longs doigts épanouis. Son bec est armé de dentelures tournées en arrière, par lesquelles il retient le poisson glissant. Son cou se plie souvent en deux, & il semblerait que ce mouvement s'exécute au moyen d'une charnière ; car on peut encore faire jouer ainsi le cou plusieurs jours après la mort de l'oiseau. Willughby a mal à propos avancé à ce sujet, que la cinquième vertèbre du cou est renversée & posée en sens contraire des autres (b) ; car, en examinant le squelette du héron, nous avons compté dix-huit vertèbres dans le cou, & nous avons seulement observé que les cinq premières, depuis la tête, sont comme comprimées par les côtés, & articulées l'une sur l'autre par une avance de la précédente sur la suivante, sans apophyses, & que l'on ne commence à voir des apophyses que sur la sixième vertèbre ; par cette singularité de conformation, la partie du cou qui tient à la poitrine, se raidit, & celle qui tient à la tête, joue en demi-cercle sur l'autre, ou s'y applique de façon, que le cou, la tête & le bec sont pliés en trois l'un sur l'autre : l'oiseau redresse brusquement, & comme par ressort, cette moitié repliée, lance son bec comme un javelot ; en étendant le cou de toute sa longueur, il peut atteindre au moins à trois pieds à la ronde : enfin, dans un parfait repos, ce cou, si démesurément long, est comme effacé & perdu dans les épaules, auxquelles la tête paraît jointe (c) ; ses ailes pliées ne débordent point la queue qui est très courte.
     Pour voler, il raidit ses jambes en arrière, renverse le cou sur le dos, le plie en trois parties, y compris la tête & le bec, de façon que d'en bas on ne voit point la tête, mais seulement un bec qui paraît sortir de sa poitrine ; il déploie des ailes plus grandes, à proportion que celles d'aucun oiseau de proie, ces ailes sont fort concaves & frappent l'air par un mouvement égal & réglé. Le héron par ce vol uniforme, s'élève & se porte si haut, qu'il se perd à la vue dans la région des nuages (c2). C'est lorsqu'il doit pleuvoir qu'il prend le plus souvent son vol (d), & les Anciens tiraient de ses mouvements & de ses attitudes, plusieurs conjectures sur l'état de l'air & les changements de température ; triste & immobile sur le sable des rivages, il annonçait des frimas (e) ; plus remuant & plus clameux qu'à l'ordinaire, il promettait la pluie ; la tête couchée sur la poitrine, il indiquait le vent par le côté où son bec était tourné (f). Aratus & Virgile, Théophraste & Pline établissent ces présages, qui ne nous sont plus connus depuis que les moyens de l'art, comme plus sûrs, nous ont fait négliger les observations de la Nature en ce genre.
     Quoi qu'il en soit, il y a peu d'oiseaux qui s'élèvent aussi haut, & qui, dans le même climat, fassent d'aussi grandes traversées que les hérons, & souvent, nous dit M. Lottinger, on en prend qui portent sur eux des marques des lieux où ils ont séjourné. Il faut, en effet, peu de force pour porter très loin un corps si mince & si maigre, qu'en voyant un héron à quelque hauteur dans l'air, on n'aperçoit que deux grandes ailes sans fardeau ; son corps est efflanqué, aplati sur les côtés & beaucoup plus couvert de plumes que de chair. Willughby attribue la maigreur du héron à la crainte & à l'anxiété continuelle dans laquelle il vit (g), autant qu'à la disette & à son peu d’industrie (h) ; effectivement la plupart de ceux que l'on tue, sont d'une maigreur excessive.
     Tous les oiseaux de la famille du héron, n'ont qu'un seul ‘caecum’, ainsi que les quadrupèdes ; au lieu que tous les autres oiseaux en qui se trouve ce viscère, l'ont double (k) ; l'oesophage est très large & susceptible d'une grande dilatation ; la trachée-artère a seize pouces de longueur, & environ quatorze anneaux par pouce ; elle est à peu près cylindrique jusqu'à la bifurcation, où se forme un renflement considérable d'où partent les deux branches, qui du côté intérieur ne sont formées que d'une membrane ; l'oeil est placé dans une peau nue, verdâtre, qui s'étend jusqu'aux coins du bec ; la langue est assez longue, molle & pointue ; le bec fendu jusqu'aux yeux, présente une longue & large ouverture ; il est robuste, épais près de la tête, long de six pouces, & finissant en pointe aiguë ; la mandibule inférieure est tranchante sur les côtés, la supérieure est dentelée vers le bout, sur près de trois pouces de longueur ; elle est creusée d'une double rainure, dans laquelle sont placées les narines ; sa couleur est jaunâtre, rembrunie à la pointe, la mandibule inférieure est plus jaune ; & les deux branches qui la composent, ne se joignent qu'à deux pouces de la poitrine ; l'entre-deux est garni d'une membrane couverte de plumes blanches ; la gorge est blanche aussi, & de belles mouchetures noires marquent les longues plumes pendantes du devant du cou ; tout le dessus du corps est d'un beau gris de perle ; mais dans la femelle, qui est plus petite que le mâle, les couleurs sont plus pâles, moins foncées, moins lustrées ; elle n'a point la bande transversale noire sur la poitrine, ni d'aigrette sur la tête (l) ; dans le mâle, il y a deux ou trois longs brins de plumes minces, effilées, flexibles & du plus beau noir ; ces plumes sont d'un grand prix, surtout en Orient (m) ; la queue du héron a douze pennes tant soit peu étagées ; la partie nue de sa jambe a trois pouces ; le tarse six ; le grand doigt plus de cinq ; il est joint au doigt intérieur par une portion de membrane ; celui de derrière est aussi très long, &, par une singularité marquée dans tous les oiseaux de cette famille, ce doigt est comme articulé avec l'extérieur, & implanté à côté du talon ; les doigts, les pieds & les jambes de ce héron commun sont d'un jaune verdâtre ; il a cinq pieds d'envergure, près de quatre du bout du bec aux ongles, & un peu plus de trois jusqu'au bout de la queue ; le cou a seize ou dix-sept pouces ; en marchant, il porte plus de trois pieds de hauteur ; il est donc presque aussi grand que la cigogne ; mais il a beaucoup moins d'épaisseur de corps, & on sera peut-être étonné qu'avec d'aussi grandes dimensions le poids de cet oiseau n'excède pas quatre livres (n).
     Aristote & Pline paraissent n'avoir connu que trois espèces dans ce genre; le héron commun ou le grand héron gris, dont nous venons de parler (o), & qu'ils désignent par le nom de héron cendré ou brun, " pellos " ; le héron blanc, " leucos " ; & le héron étoilé ou le butor, " asterias " (p) : cependant Oppien observe que les espèces de hérons sont nombreuses & variées. En effet, chaque climat a les siennes, comme nous le verrons par leur énumération ; & l'espèce commune, celle de notre héron gris, paraît s'être portée dans presque tous les pays, & les habiter conjointement avec celles qui y sont indigènes. Nulle espèce n'est plus solitaire, moins nombreuse dans les pays habités, & plus isolée dans chaque contrée ; mais en même temps aucune n'est plus répandue & ne s'est portée plus loin dans des climats opposés ; un naturel austère, une vie pénible ont apparemment endurci le héron & l'ont rendu capable de supporter toutes les intempéries des différents climats. Dutertre nous assure qu'au milieu de la multitude de ces oiseaux naturels aux Antilles, on trouve souvent le héron gris d'Europe (q) ; on l'a même trouvé à Tahiti, où il a un nom propre dans la langue du pays (r), & où les insulaires ont pour lui, comme pour le martin-pêcheur, un respect superstitieux (s). Au Japon, entre plusieurs espèces de " saggis " ou hérons, on distingue, dit Koempfer, le " goi-saggi " ou le héron gris (t) ; on le rencontre en Egypte (u), en Perse (x), en Sibérie, chez les Jakutes. Nous en dirons autant du héron de l'île Saint-Iago, au cap Vert (z) ; de celui de la baie de Saldana (a) ; du héron de Guinée de Bosman ; des hérons gris de l'île de May ou des " rabékès " du voyageur Roberts (c) ; du héron de Congo, observé par Loppez (d) ; de celui de Guzarate, dont parle Mandeslo (e) ; de ceux de Malabar (f) ; de Tunquin (g) ; de Java (h) ; de Timor (i) ; puisque ces différents Voyageurs indiquent ces hérons simplement sous le nom de l'espèce commune, & sans les en distinguer. Le héron appelé " dangcanghac ", dans l'île de Luçon, & auquel les Espagnols des Philippines, donnent en leur langue le nom propre du héron d'Europe (" garza "), nous paraît encore être le même (k). Dampier dit expressément que le héron de la baie de Campèche, est en tout semblable à celui d'Angleterre (l) ; ce qui, joint au témoignage de Dutertre & à celui de le Page du Pratz, qui a vu à la Louisiane, le même héron qu'en Europe (m), ne nous laisse pas douter que l'espèce n'en soit commune aux deux continents ; quoique Catesby assure qu'il ne s'en trouve dans le nouveau que des espèces toutes différentes.
     Dispersés & solitaires dans les contrées peuplées, les hérons se sont trouvés rassemblés & nombreux dans quelques îles désertes, comme celles du golfe d'Arguim au cap Blanc, qui reçut des Portugais le nom d'" isola das Garzaz " ou d'" île aux Hérons ", parce qu'ils y trouvèrent un si grand nombre d'oeufs de ces oiseaux, qu'on en remplit deux barques (n). Aldrovande parle de deux îles sur la côte d'Afrique, nommées de même & pour la même raison " îles des hérons " par les Espagnols (o) ; celle du Niger où aborda M. Adanson, eût mérité également ce surnom, par la grande quantité de ces oiseaux qui s'y étaient établis (p). En Europe, l'espèce du héron gris s'est portée jusqu'en Suède (q), en Danemarck & en Norvège (r). On en voit en Pologne (s), en Angleterre (t), en France, dans la plupart de nos Provinces ; & c'est surtout dans les pays coupés de ruisseaux ou de marais, comme en Suisse (u) & en Hollande (x), que ces oiseaux habitent en plus grand nombre.
     Nous diviserons le genre nombreux des hérons en quatre familles; celle du héron proprement dit, dont nous venons de décrire la première espèce ; celle du butor ; celle du bihoreau, & celle des crabiers. Les caractères communs qui unissent & rassemblent ces quatre familles, sont la longueur du cou, la rectitude du bec qui est droit, pointu & dentelé aux bords de sa partie supérieure vers la pointe ; la longueur des ailes, qui, lorsqu'elles sont pliées, recouvrent la queue ; la hauteur du tarse & de la partie nue de la jambe ; la grande longueur des doigts, dont celui du milieu a l'ongle dentelé, & la position singulière de celui de derrière qui s'articule à côté du talon, près du doigt intérieur ; enfin la peau nue, verdâtre qui s'étend du bec aux yeux dans tous ces oiseaux ; joignez à ces conformités physiques, celles des habitudes naturelles qui sont à peu près les mêmes ; car tous ces oiseaux sont également habitants des marais & de la rive des eaux ; tous sont patients par instinct, assez lourds dans leurs mouvements, & tristes dans leur maintien.
     Les traits particuliers de la famille des hérons, dans laquelle nous comprenons les aigrettes, sont, le cou excessivement long, très grêle & garni au bas de plumes pendantes & effilées ; le corps étroit, efflanqué, & dans la plupart des espèces, élevé sur de hautes échasses.
     Les butors sont plus épais de corps, moins hauts sur jambes que le héron ; ils ont le cou plus court, & si garni de plumes, qu'il paraît très gros en comparaison de celui du héron.
     Les bihoreaux ne sont pas si grands que les butors ; leur cou est plus court, les deux ou trois longs brins implantés dans la nuque du cou les distinguent des trois autres familles ; la partie supérieure de leur bec est légèrement arquée.
     Les crabiers, qu'on pourrait nommer petits hérons, forment une famille subalterne, qui n'est, pour ainsi dire, que la répétition en diminutif de celle des hérons (y) : aucun des crabiers n'est aussi grand que le héron-aigrette, qui est des trois quarts plus petit que le héron commun ; & le blongios (**) qui n'est pas plus gros qu'un rafle (**), termine la nombreuse suite d'espèces de ce genre, plus variée qu'aucune autre pour la proportion de la grandeur & des formes.
..........................................................
.
... (**) Nous n’avons pas retrouvé le rafle ; le blongios est sans doute l’actuel blongios nain (ndlr)
.

accueil

haut
de page
.

pour lire le
<Buffon 18e siècle>
cliquer ci-contre

.


(conception & réalisation :  anne-marie simond ;  copyright  © <éditions du héron> 2001)