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Le Testament à répétition.
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Préface  de  Pierre Hugli
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(Extraits)
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      Il faut être particulièrement abruti pour pouvoir s’imaginer, comme le font la plupart de nos contemporains doués d’intelligence, que le triomphe de l’esprit devrait améliorer les choses. Au nom de quoi il est recommandé d’emprisonner pendant une dizaine d’années et plus de jeunes êtres humains à la discrétion des névroses pédagogiques. Je me demande s’il ne serait pas temps de lancer de grandes campagnes de désalphabétisation pour que l’individu puisse retrouver son droit à l’idiotie.
     Il n’y a guère de quoi sourire. Lorsque j’ai fait la connaissance de Benjamin Dolingher, j’ai tout de suite compris que j’avais affaire à un idiot. Et ce qu’on peut souffrir, quand on est idiot ! Cet individu moustachu, entrant dans mon bar avec une mine gênée de conspirateur d’Europe centrale — ou peut-être balkanique —, ce personnage pouvait bien me tendre quelques papiers à lire, bien sûr immédiatement car l’impatience est sa seconde nature, c’est toujours la même chose : un idiot, ça ne trompe pas.
     Vous me direz qu’il n’est pas difficile de porter un tel diagnostic à la lecture des histoires idiotes que vous allez savourer. J’aimerais pourtant expliquer ce qui, à l’époque, n’était qu’une intuition : cela en toute simplicité, à la lumière de l’histoire de la culture. Je dois bien entendu me limiter à l’évolution intellectuelle des Grecs à nos jours, y compris Rome, car sans cette précaution le sujet serait trop vaste pour le modeste cadre qui m’est imparti.
     Donc, avant l’invention de la culture, on ne sait pas grand-chose, mais au moins un point est sûr : était idiot qui le voulait, et sans se forcer. Permettez-moi de me référer au pédant qui sommeille en tout homme : la belle langue grecque donnait au mot " idiot "
(idios, idiotês) le sens de " particulier ", " propre ". C’était le domaine privé, le domaine de la personnalité intime, j’ajoute de l’originalité, de l’authenticité. Là, en harmonie avec sa vie profonde, on pouvait bien se moquer de ce que pouvaient penser les autres. Cependant ces autres ont commencé sournoisement à s’intéresser à l’individu en question. L’enfer collectif naissait. La religion, le sacré se mettaient de la partie pour souder la conscience des hommes. " Idiot " a commencé à tourner de sens, dans l’esprit du qu’en-dira-t-on hellène : affaires particulières, individuelles, profanes. Ces esprits bavards, proscrivant le poète de la République, ont mis au point des raisonnements, tordus comme les autres, bien sûr, mais, pardon, universels : tout le monde ‘bien’ s’est mis à croire qu’il avait raison. La mode intellectuelle faisait ses premiers ravages, contre lesquels l’esprit individualiste ne pouvait que maugréer dans sa barbe. " Idiot " était devenu synonyme d’ignorant. Et comme, pour ces âmes bien nées, il n’y a pas plus ignorant que le peuple, " idiot " est devenu ordinaire, vulgaire, pour finir, chez ces épais militaires et juristes de Romains, par coïncider avec imbéciles. Imbéciles vous-mêmes ! Qu’y a-t-il d’ailleurs de plus collectivistes que ces gens n’ayant que le mot de citoyen à la bouche ?
     Avouez que le destin du mot a de quoi faire rêver sur le niveau mental de nos élites à travers les âges. Cette bande d’oligophrènes, incapables de penser et de sentir sans les béquilles de la science et de la religion, a bien su démontrer le supérieur mépris de la Connaissance vis-à-vis de la personne, de l’art suprême de la vie : l’Authenticité. Et inutile de dire que le succès de la connaissance collective, du pense-bête international digéré à l’intention du plus grand nombre des malheureux alphabétisés, n’a fait que croître à l’époque des communications de masse. Pour en revenir à lui, Benjamin Dolingher a dégusté toutes les formes de l’avilissement de la pensée dans son pays natal. Dégagé aujourd’hui des chaînes liant les hommes dans la caverne collectiviste, il aspire à la lumière de l’idiotie. Puisse-t-il, pour le plaisir de ses lecteurs, les rendre, à leur tour, tous idiots !
...................................................................................................................................... Pierre Hugli
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