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LE BUTOR   . . . . . . . .
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Pages 150 à 165
 de l'HISTOIRE NATURELLE DES OISEAUX, Tome Quatorzième de l’HISTOI-
RE NATURELLE
, GÉNÉRALE ET PARTICULIÈRE de M. de Buffon.

LE BUTOR (a)
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     Quelque ressemblance qu’il y ait entre les hérons & les butors, leurs différences sont si marquées qu’on ne peut s’y méprendre ; ce sont en effet deux familles distinctes & assez éloignées, pour ne pouvoir se réunir ni même s’allier. Les butors ont les jambes beaucoup moins longues que les hérons, le corps un peu plus charnu, & le cou très fourni de plumes, ce qui le fait paraître plus gros que celui des hérons. Malgré l’espèce d’insulte
attachée à son nom, le butor est moins stupide que le héron, mais il est encore plus sauvage ; on ne le voit presque jamais ; il n’habite que les marais d’une certaine étendue où il y a beaucoup de joncs ; il se tient de préférence sur les grands étangs environnés de bois ; il y mène une vie solitaire & paisible, couvert par les roseaux, défendu sous leur abri du vent & de la pluie ; également caché pour le chasseur qu’il craint, & pour la proie qu’il guette, il reste des jours entiers dans le même lieu & semble mettre toute sa sûreté dans la retraite & l’inaction, au lieu que le héron plus inquiet, se remue & se découvre en se mettant en mouvement tous les jours vers le soir ; c’est alors que les chasseurs l’ attendent au bord des marais couverts de roseaux où il vient s’ébattre ; le butor, au contraire, ne prend son vol à la même heure, que pour s’élever & s’éloigner sans retour ; ainsi, ces deux oiseaux, quoique habitants des mêmes lieux, ne doivent guère se rencontrer & ne se réunissent jamais en famille commune.
     Ce n’est qu’en automne & au coucher du soleil, selon Willughby, que le butor prend son essor pour voyager ou du moins pour changer de domicile ; on le prendrait dans son vol, pour un héron, si de moment à moment il ne faisait entendre une voix toute différente, plus retentissante et plus grave, " cob ", " cob " ; & ce cri, quoique désagréable, ne l’est pas autant que la voix effrayante qui lui a mérité le nom de butor ; ‘botaurus, quasi boatus tauri’ (b) ; c’est une espèce de mugissement " hi-rhond " qu’il répète cinq ou six fois de suite au printemps, & qu’on entend d’une demi-lieue ; la plus grosse contrebasse rend un son moins ronflant sous l’archet : pourrait-on imaginer que cette voix épouvantable, fût l’accent du tendre amour ? mais ce n’est en effet que le cri du besoin physique & pressant d’une nature sauvage, grossière & farouche jusque dans l’expression du désir ; & ce butor une fois satisfait, fuit la femelle ou la repousse, lors même qu’elle le recherche avec empressement (c) (*), & sans que ses avances aient aucun succès après une première union presque momentanée ; aussi vivent-ils à part chacun de leur côté. " Il m’est souvent arrivé, dit M. Hébert, de faire lever en même temps deux de ces oiseaux ; j’ai toujours remarqué qu’ils partaient à plus de deux cents pas l’un de l’autre, & qu’ils se posaient à égale distance. " Cependant il fait croire que les accès du besoin & les approches instantanées se répètent peut-être à d’assez grands intervalles, s’il est vrai que le butor mugisse tant qu’il est en amour (d) ; car ce mugissement commence au mois de février (e) (*), & on l’entend encore au temps de la moisson. Les gens de la campagne disent que, pour faire ce cri mugissant, le butor plonge le bec dans la vase ; le premier ton de ce bruit énorme ressemble en effet à une forte aspiration, & le second à une expiration retentissante dans une cavité (f) (*) ; mais ce fait supposé est très difficile à vérifier, car cet oiseau est toujours si caché qu’on ne peut le trouver ni le voir de près ; les chasseurs ne parviennent aux endroits d’où il part qu’en traversant les roseaux, souvent dans l’eau jusqu’au-dessus du genou.
     A toutes ces précautions, pour se rendre invisible & inabordable, le butor semble ajouter une ruse de défiance ; il tient la tête élevée, & comme il a plus de deux pieds & demi de hauteur, il voit par-dessus les roseaux sans être aperçu du chasseur ; il ne change de lieu qu’à l’approche de la nuit dans la saison d’automne, & il passe le reste de sa vie dans une inaction qui lui a fait donner par Aristote le surnom de " paresseux " (g) (*) ; tout son mouvement se réduit en effet à se jeter sur une grenouille ou un petit poisson, qui vient se livrer lui-même à ce pêcheur indolent.
     Le nom d’ " asterias " ou de " stellaris " donné au butor par les Anciens vient, suivant Scaliger, de ce vol du soir par lequel il s’élance droit en haut vers le ciel, & semble se perdre sous la voûte étoilée : d’autres tirent l’origine de ce nom des taches dont est semé son plumage, lesquelles néanmoins sont disposées plutôt en pinceaux qu’en étoiles ; elles chargent tout le corps de mouchetures ou hachures noirâtres ; elle sont jetées transversalement sur le dos dans un fond brun fauve, & tracées longitudinalement sur fond blanchâtre au devant du cou, à la poitrine & au ventre ; le bec du butor est de la même forme que celui du héron ; sa couleur, comme celle des pieds, est verdâtre ; son ouverture est très large, il est fendu fort au-delà des yeux, tellement qu’on les dirait situés sur la mandibule supérieure, ; l’ouverture de l’oreille est grande ; la langue courte & aiguë ne va pas jusqu’à moitié du bec, mais la gorge est capable de s’ouvrir à y loger le poing (h) ; ses longs doigts s’accrochent aux roseaux, & servent à le soutenir sur leurs débris flottants (i) (*) ; il fait grande capture de grenouilles ; en automne, il va dans les bois chasser aux rats, qu’il prend fort adroitement & avale tout entiers (k) ; dans cette saison, il devient fort gras (l) ; quand il est pris, il s’irrite (m), se défend & en veut surtout aux yeux (n) (*) ; sa chair doit être de mauvais goût, quoiqu’on en en mangeât autrefois dans le même temps que celle du héron faisait un mets distingué. (o)
     Les oeufs du butor sont gris-blanc verdâtre ; il en fait quatre ou cinq, pose son nid au milieu des roseaux, sur une touffe de joncs, & c’est assurément par erreur, & en confondant le héron & le butor que Bélon dit qu’il perche son nid au haut des arbres (p) (*) : ce Naturaliste paraît se tromper également en prenant le butor pour l’" onocrotale " de Pline, quoique distingué d’ailleurs dans Pline même, par des traits assez reconnaissables. Au reste, ce n’est que par rapport à son mugissement si " gros ", suivant l’expression de Bélon, " qu’il n’y a boeuf qui pût crier si haut ", que Pline a pu appeler le butor un " petit oiseau ", si tant est qu’il faille, avec Bélon, appliquer au butor le passage de ce Naturaliste, où il parle de l’oiseau " taurus " qui se trouve, dit-il, dans le territoire d’Arles, & fait entendre des " mugissements pareils à ceux d’un boeuf " (q).
     Le butor se trouve partout où il y a des marais assez grands pour lui servir de retraite ; on le connaît dans la plupart de nos provinces ; il n’est pas rare en Angleterre (r), & assez fréquent en Suisse (s) & en Autriche (t) ; on le voit aussi en Silésie (u), en Danemarck (x), en Suède (y). Les régions les plus septentrionales de l’Amérique ont de même leur espèce de butor, & l’on en trouve d’autres espèces dans les contrées méridionales ; mais il paraît que notre butor, moins dur que le héron, ne supporte pas nos hivers, & qu’il quitte le pays quand le froid devient trop rigoureux ; d’habiles Chasseurs nous assurent ne l’avoir jamais rencontré aux bords des ruisseaux ou des sources dans le temps des grands froids ; &, s’il lui faut des eaux tranquilles & des marais, nos longues gelées doivent être pour lui une saison d’exil. Willughby semble l’insinuer, & regarder son vol élancé, après le coucher du soleil en automne, comme un départ pour des climats plus chauds.
     Aucun Observateur ne nous a donné de meilleurs renseignements que M. Baillon sur les habitudes naturelles de cet oiseau : voici l’extrait de ce qu’il a bien voulu m’en écrire.
     "Les butors se trouvent dans presque toutes les saisons de l’années à Montreuil-sur-mer & sur les côtes de Picardie, quoiqu’ils soient voyageurs ; on les voit en grand nombre dans le mois de décembre, quelquefois une seule pièce de roseaux en cache des douzaines.
     "Il y a peu d’oiseaux qui se défendent avec autant de sang-froid ; il n’attaque jamais, mais lorsqu’il est attaqué, il combat courageusement, & se bat bien sans donner beaucoup de mouvements. Si un oiseau de proie fond sur lui, il ne fuit pas ; il l’attend debout, & le reçoit sur le bout de son bec, qui est très aigu ; l’ennemi blessé s’éloigne en criant. Les vieux busards n’attaquent jamais le butor, & les faucons communs ne le prennent que par-derrière & lorsqu’il vole ; il se défend même contre le Chasseur qui l’a blessé, au lieu de fuir il l’attend, lui lance dans les jambes des coups de bec si violents, qu’il perce les bottines & pénètre fort avant dans les chairs ; plusieurs Chasseurs en ont été blessés grièvement ; on est obligé d’assommer ces oiseaux, car ils se défendent jusqu’à la mort.
     "Quelquefois, mais rarement, le butor se renverse sur le dos, comme les oiseaux de proie, & se défend autant des griffes qu’il a très longues, que du bec ; il prend cette attitude lorsqu’il est surpris par un chien.
     "La patience de cet oiseau égale son courage, il demeure, pendant des heures entières, immobile, les pieds dans l’eau & caché par les roseaux ; il y guette les anguilles & les grenouilles ; il est aussi indolent & aussi mélancolique que la cigogne : hors le temps des amours où il prend du mouvement & change de lieu ; dans les autres saisons, on ne peut le trouver qu’avec des chiens. C’est dans les mois de février & de mars, que les mâles jettent, le matin & le soir, un cri qu’on pourrait comparer à l’explosion d’un fusil d’un gros calibre ; les femelles accourent de loin à ce cri, quelquefois une douzaine entoure un seul mâle, car, dans cette espèce, comme dans celle des canards, il existe plus de femelles que de mâles : ils piaffent devant elles & se battent contre les mâles qui surviennent. Ils font leurs nids presque sur l’eau, au milieu des roseaux, dans le mois d’avril ; le temps de l’incubation est de vingt-quatre à vingt-cinq jours ; les jeunes naissent presque nus, & sont d’une figure hideuse ; ils semblent n’être que cou & jambes, ils ne sortent du nid, que plus de vingt jours après leur naissance ; le père & la mère les nourrissent, dans les premiers temps, de sangsues, de lézards & de frai de grenouilles, & ensuite de petites anguilles ; les premières plumes qui leur viennent sont rousses, comme celles des vieux ; leurs pieds & le bec sont plus blancs que verts. Les busards, qui dévastent les nids de tous les autres oiseaux de marais, touchent rarement à celui du butor ; le père & la mère y veillent sans cesse & le défendent ; les enfants n’osent en approcher, ils risqueraient de se faire crever les yeux.
     "Il est facile de distinguer les butors mâles, par la couleur & par la taille, étant plus beaux, plus roux & plus gros que les femelles ; d’ailleurs ils ont les plumes de la poitrine & du cou plus longues.
     "La chair de cet oiseau, surtout celle des ailes & de la poitrine est assez bonne à manger, pourvu que l’on en ôte la peau, dont les vaisseaux capillaires sont remplis d’une huile âcre & de mauvais goût, qui se répand dans les chairs par la cuisson, & lui donne alors une forte odeur de marécage. "
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(*) Notes :
     (c) (réf : Le butor, p. 154) Suivant M. Salerne (Ornithol. page 313), c’est la femelle qui fait seule tous les frais de l'amour, de l’éducation & du ménage, tant est grande la paresse du mâle. " C’est en effet elle qui le sollicite & l’invite à l’amour par de fréquentes visites qu’elle lui fait, & par l’abondance de vivres qu’elle lui apporte. " Mais toutes ces particularités prises d’un ancien Discours moral (Discours de M. de la Chambre, sur l’amitié), ne sont apparemment que le roman de l’oiseau.
     (e) (réf : Ibid., p. 155) Nota.C’est sûrement des cris du butor dont il s’agit dans le passage des problèmes d’Aristote (Sect. II, XXXV), où il p arle de ce mugissement pareil à celui d’un taureau, qui se fait entendre au printemps du fond des marais, & dont il cherche une explication dans les vents emprisonnés sous les eaux & sortant des cavernes ; le peuple en rendait des raisons superstitieuses, & ce n’était réellement que le cri d’un oiseau.
     (f) (réf : Ibid., p. 156) Nota. Aldrovande a cherché quelle était la conformation de la trachée- artère relativement à la production de ce son extraordinaire : plusieurs oiseaux d’eau, à voix éclatante, comme le cygne, ont un double larynx ; le butor au contraire n’en a point, mais la trachée à sa bifurcation forme deux poches enflées, dont les anneaux de la trachée ne garnissent qu’un côté ; l’autre est recouvert d’une peau mince, expansible, élastique ; c’est de ces poches enflées que l’air retenu se précipite en mugissant.
     (g) (réf : Ibid., p. 157) Hist. animal. lib. IX, cap. XVIII. " Le butor cheminant va plus lentement qu’on ne saurait dire, & est appelé par Aristote " lourd & paresseux " ; & était aussi nommé " phoix ", d’un esclave paresseux nommé " phoix ", qui fut transformé en butor ; encore pour aujourd’hui le vulgaire se ressent de son antiquité sur ce passage, qu’en injuriant un homme paresseux, pense l’outrager de le nommer " butor " ". Bélon, Nat. des Oiseaux, page 193.
     (i) (réf : Ibid., p. 158) La grande longueur des ongles, & particulièrement de celui de derrière est remarquable, Aldrovande dit que de son temps on s’en servait en forme de cure-dent.
     (n) (réf : Ibid., p. 159) " Cet oiseau a cela de particulier qu’il essaie toujours à crever les yeux ; pour laquelle chose les paysans qui en prennent, les voulant garder en vie, les tiennent toujours " ciglés ". " Bélon, Nat. des Oiseaux, p. 193. (ndlr : nous supposons que cet adjectif " ciglés " correspond à celui de " sanglé ", de " Sangle ", n.f. 1080 ; var. " cengle ", " sengle " ; lat. " cingula ", de " cingere " " ceindre " ; LE NOUVEAU PETIT ROBERT, 2000).
     (p) (réf : Ibid., p. 159) Gesner ne connaît pas mieux sa nichée quand il dit qu’on y trouve douze oeufs.
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